L’âne aux pièces d’or Il était une fois, dans une étable dorée attenante au palais, un âne qui chiait de l’or. Ce n’était pas une image. Chaque matin, chaque soir, sous lui, des pièces tombaient. Rondes, brillantes, propres. Le roi se frottait les mains, les intendants remplissaient des coffres, les valets évacuaient le reste. L’âne, lui, ne savait pas ce qu’était un miracle. Il mangeait bien, dormait au sec, et ne manquait de rien. C’était une vie sans peur. Une vie simple. Il n’était ni jeune, ni vieux. Il était là. Il était ce qui fait tenir un royaume debout quand les guerres coûtent cher et que les dieux se taisent. Il était utile. C’est tout ce qu’on lui demandait. Quand la reine mourut, l’âne sentit quelque chose changer dans l’air. Moins de pas. Moins de chants. Les pièces sonnaient plus froidement sur la dalle. Le roi venait plus souvent. Il restait silencieux, parfois des heures, à le fixer, comme s’il cherchait une réponse dans ses flancs. Puis un jour, la princesse entra. Elle s’était approchée doucement. Elle lui avait caressé l’encolure. Elle ne pleurait pas, elle ne souriait pas. Elle regardait l’or. Pas avec envie. Avec dégoût. Elle murmura, plus pour elle-même que pour lui, qu’elle avait besoin d’une peau. Une autre. Une qui la cacherait. Elle ne parlait pas de robe, ni de déguisement. Elle parlait d’abandonner ce qu’elle était. Elle parlait de se recouvrir d’autre chose. Elle parlait de lui. L’âne ne comprit pas tout. Mais il sentit une tristesse ancienne, presque animale, dans sa voix. Quelque chose d’épuisé, de froid, de cassé. Le lendemain, ils vinrent. Ils ne prirent pas son or. Ils prirent sa vie. Il ne cria pas. Il ne se débattit pas. Il était docile, comme toujours. Il avait servi, et il servait encore. Il mourut sans comprendre, mais avec une sorte d’acceptation lourde et tranquille. Ce n’était pas une trahison. C’était juste une fin. Une utilité de plus. Ce qu’il devint après, il ne le sut jamais. Peut-être une cape, une peau crasseuse sur des épaules tremblantes. Peut-être un abri. Peut-être un masque. Il ne saura jamais si la princesse fut heureuse, ou même libre. Mais quelque part dans la nuit, quand les humains dorment et que les bêtes rêvent encore, on entend parfois le bruit sourd de pièces tombant sans fin dans une étable vide. Comme un souvenir.